Historique
Et pourtant, au début, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Mes deux nouveaux colocataires étaient fort serviables et le contrat très clair : j’étais nourri, logé, et en échange, je m’efforçais de les tolérer.
Puis un beau jour, l’un d’eux eut l’idée de passer le Diplôme suisse de sommellerie. Là, les choses commencèrent à se gâter. Pendant huit mois, ce ne fut plus que reniflements, borborygmes bucco-linguaux, tintements de verres entrechoqués et plop de bouteilles débouchées. Tous les soirs, le salon fleurait la vinasse et bruissait de commentaires compassés.
Les examens terminés, je pensais que les choses en resteraient là. Grave erreur ! Le frais diplômé s’empressa d’aller jouer les stagiaires chez un vieux vigneron de sa connaissance. « Pour quelques semaines seulement, juste pour appréhender le côté pratique du vin ». Et moi, naïf, je l’ai cru ! L’écho de ses bobards résonnait encore à mes oreilles que le néophyte entamait une formation de viticulteur à Marcelin.
S’ensuivit une époque d’euphorie, jusqu’à la disparition du vigneron. L’ambiance, alors, se fit plus lourde. Mon colocataire se retrouvait avec un demi-hectare de vignes et quelques futures tonnes de raisins qu’il faudrait bien valoriser, lorsque serait venu le temps de la vendange. Mais au lieu de se tourner vers une activité de négoce, il se mit en tête de vinifier lui-même sa production. La formation, certes, il l’avait, mais l’expérience ? Et que pouvait-il faire, accroché à son vélo et flanqué de sa seule épouse ?
D’ordinaire, je ne suis pas un être particulièrement empathique, et pour être honnête, le genre humain m’exaspère. Mais j’étais malgré moi impliqué dans cette affaire : de la réussite des projets de cet indécrottable optimiste découlerait pour moi l’assurance d’un foyer douillet et d’une pitance abondante et goûteuse.
J’activai donc mes réseaux. J’ai de l’entre-gens, et, il faut le dire malgré la pauvreté de mon vocabulaire, de solides talents de persuasion.
Alors ils sont venus. Tous ! Du Valais, de Suisse alémanique, du Portugal, d’Italie, de France, du Mexique, de Londres et même du Canton de Vaud, avec un seul but : aider un allumé à créer sa cave et à soigner ses vignes. Et le chantier démarra : les uns construisaient des parois, des étagères, peignaient, isolaient ou faisaient le tour du Canton pour dénicher cuves, pompe, égrappeuse et caisses à vendange, tandis que les autres taillaient, effeuillaient ou ébourgeonnaient.
Ainsi, à l’automne 2021, naquit La Cave aux Chats. Plus qu’on domaine viticole, c’est avant tout une belle histoire d’amitié et de solidarité ; il y en a eu, des félins prêts à donner de leur temps et de leur énergie pour que se réalise cette utopie ! L’humain n’est peut-être pas si nuisible, après tout…
Quant à moi sans qui rien n’eût été possible, pour toute récompense, j’eus droit à ma bobine sur les étiquettes. Enfin, mieux vaut ça que leurs cartons de jaja fermenté ! Moi, je préfère l’eau claire ou un peu de crème fraîche, le dimanche : je m’appelle Mara et je suis le chat de la cave.
Le vrai.